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Le plafond de verre

02 février 2021
Le plafond de verre Le plafond de verre [© Christian Drouet / STUDIO CREATIVE PARTNER]

À partir de 30 ans Mélanie ne sera plus jamais promue. Son employeur en est convaincu : elle tombera bientôt enceinte et à son retour de congé maternité, elle enchaînera les arrêts de travail et les burn-out. Mélanie va devoir se battre pour briser ce plafond de verre. Voici son histoire.


Temps de lecture : 9 min

Certaines femmes ont du caractère. Mélanie est de celles-là. Malgré son petit mètre cinquante-huit, pour cinquante-deux kilos, elle ne se laisse jamais intimider. Elle est capable de recadrer des grands gaillards d’1m90 et de 100 kilos. Elle sait élever la voix quand c’est nécessaire, et être claire et limpide lorsqu’elle donne des ordres.

En tant que cheffe d’équipe de convoyeurs de fonds, elle sait combien son métier est dangereux, et combien tout peut basculer en quelques secondes, alors oui, elle gueule beaucoup, pressurise parfois, mais respecte toujours.

Jamais d’insultes. Jamais de vulgarités. Jamais d’attaques personnelles. Mélanie n’humilie pas. Formée à l’école militaire, elle commande avec rigueur : des consignes claires, avec des mots simples et des phrases courtes. Mélanie fait l’unanimité en tant que cheffe, mais même si elle a un don pour diriger dans sa vie professionnelle, dans sa vie de couple c’est une tout autre histoire.

Mélanie, a des idées conservatrices.

À ses yeux, le rôle d’une femme est de soutenir son mari et de prendre soin de sa famille, alors avec Jean, son mari, ils ont convenu ensemble qu’elle lèverait un peu le pied, au moins le temps de fonder une famille.

Mélanie voit le couple comme une équipe et pas comme une compétition.

Mélanie ne ressent ni besoin de gagner plus, ni volonté d’avoir un poste plus prestigieux que son mari. C’est donc en toute logique qu’elle a décidé avec Jean, de postuler à un poste moins physique, moins prenant et surtout moins dangereux.

Elle souhaite obtenir le poste de Cheffe de mouvement qui consiste à coordonner l’ensemble des mouvements des fourgons. Un emploi de bureau en somme, ou disons plutôt un poste de cadre, compatible avec une vie de famille.

Mais pour sa direction, il en est hors de question.

Le verdict est sans appel : on ne confie pas un poste aussi critique à une jeune femme de 30 ans !
Et si elle tombait enceinte ?
Et si elle s’absentait ?
Alors tout s’arrêterait : les fourgons, les opérations. Trop d’incertitudes. Trop risqué.

De toute façon, impossible de faire appel à un chef de mouvement en C.D.D de remplacement de congé maternité. Un inconnu, pourrait mettre la vie des convoyeurs de fonds en danger, en les envoyant sur un mauvais itinéraire, ou pire encore : être le complice de braqueurs.

Sa direction ne veut même pas en entendre parler.

Ils ne sont pas naïfs, en France les femmes ont leur premier enfant à 31 ans en moyenne. Alors, promouvoir une femme de 30 ans ? Elle sera en arrêt dans les mois qui suivent.

Évidemment, ils ne le lui disent pas comme ça. Les lois récentes contre les discriminations sexistes à l’embauche interdisent désormais toute remarque explicite sur le sujet, alors pour son directeur, la solution est simple :

Soit Mélanie renonce à ses ambitions de carrière, soit c’est la porte.

Malheureusement pour lui, Mélanie est une tête de mule. Elle ne lâche rien. Et surtout, son travail est irréprochable. Impossible de la licencier pour faute, alors il ne lui reste qu’une seule option :

La pousser vers la sortie.

Du jour au lendemain son supérieur commence à l’ignorer et ne lui parle plus que pour lui faire des reproches. Son objectif est clair : la faire passer pour quelqu’un d’incompétent, qui ne veut pas travailler et qui met en danger la vie de ses collègues.

Pour la saboter, la direction, remplace ses équipiers par des « bras cassés ». Quand ils ne sont pas en retard, ils oublient des sacs dans le camion. Pire encore, ils livrent les mauvais sacs à la mauvaise adresse. Il leur arrive même de laisser tomber leur arme de service sur le sol et d’aller ensuite livrer les sacs, en laissant leur arme derrière eux au beau milieu de la route.

C’est un désastre.

À chaque erreur, c’est Mélanie qu’on accuse. Sa hiérarchie la démolit. Tout est de sa faute et tous les prétextes sont bons pour lui retirer ses missions. Une fois sur deux, la direction se sert des plaintes répétées des clients, pour justifier l’envoi d’une autre équipe.

Le reste du temps, les absences à répétition de ses équipiers, ou les pannes de fourgon, la conduise à rester coincée au poste de contrôle, sans mission. Peu à peu, on ne lui confie plus rien. On l’écarte. On l’isole.

Mélanie est placardisée.

C’est long, une journée de travail, quand vous n’avez rien d’autre à faire que des photocopies. Ajoutez à cela des collègues qui ne vous parlent plus, ou qui chuchotent dans votre dos et l’ambiance devient tout simplement irrespirable.

Mélanie encaisse. Elle souffre, oui, mais ne cède pas. Là où tant d’autres auraient déjà claqué la porte, elle décide de se battre. Elle connaît ses droits et compte bien les faire valoir.

Mélanie passe à l’attaque.

Dans un premier temps, elle consulte son médecin du travail pour faire reconnaitre sa « souffrance au travail ». Puis elle engage une procédure de médiation pour harcèlement morale, dans l’espoir d’obtenir un changement de poste et, peut-être, accéder à ce poste de cheffe de mouvement qu’elle convoite.

À sa grande surprise, la procédure fut très rapide. Après consultation des délégués du personnel, la direction accepte de la changer de poste et la rétrograde au poste de simple « convoyeuse de fond », à temps partiel.

Pour Mélanie c’est la douche froide, elle perd son statut de Cheffe d’équipe au motif que :

Les éléments fournis par la médecine du travail, ont alerté la direction sur les risques physiques et psychologiques encourus par la salariée, dans l’exercice de ses fonctions. En effet, les caractéristiques particulières du poste de cheffe d’équipe de convoyeur de fond telles que des responsabilités accrues, une pression psychologique élevée et des efforts physiques importants, peuvent constituer un danger pour une personne fragile.

Le mot « fragile » l’a achevée.

Réduire son temps travail, passe encore. Perdre son poste, elle aurait pu l’accepter, mais être qualifiée de « fragile », c’était pire que tout. C’était être réduite, méprisée, effacée. Mélanie, s’est sentie salie.

Elle était réduite aux yeux de tous, à une petite chose fragile, trop faible pour s’imposer dans un monde d’hommes, grands, fort et puissants.

Cette décision a été l’humiliation de trop.

Après en avoir discuté avec Jean, son mari, Mélanie prend une décision. Elle se met d’abord en arrêt maladie pour burn-out puis enchaînera ensuite avec un congé maternité qui lui permettra de mettre au monde leur premier enfant.

À son retour de congé maternité, son temps partiel lui permettra de mieux concilier sa vie professionnelle et sa maternité, tout en lui laissant le temps de préparer discrètement son départ. Un compromis parfait.

C’est la solution rêvée pour son mari.

Jean a lui aussi de grandes ambitions, à 30 ans il sait enfin ce qu’il veut faire de sa vie. Il a décroché tous ses diplômes, engrangé suffisamment d’expérience professionnelle et s’est constitué un bon réseau.

Dans son entreprise, toutes ses collègues femmes partent en congé maternité, alors, pour sa direction, le choix est vite fait: Jean est l’homme de la situation. Ils lui ont même fait une proposition en or pour le convaincre d’accepter un poste de direction.

Mélanie est son atout gagnant.

Avant d’accepter, Jean décide d’en parler avec Mélanie. Comme toujours, elle lui donne d’excellents conseils. Grâce à elle, il parvient à négocier un meilleur salaire, des stock-options, un intéressement aux résultats, et même un assistant pour lui alléger sa charge de travail. Bref, le jackpot.

Il ne le lui restera plus qu’à acheter une maison et mettre un peu d’argent de côté pour un jour peut-être, monter sa propre boite. Grace à son réseau, les premiers clients sont déjà là.

En résumé, Jean s’épanoui professionnellement, pendant que Mélanie va devoir tirer un trait sur sa carrière et s’occuper des enfants. Classique.

Mélanie change de vie.

Hyperactive, incapable de rester chez elle à tourner en rond, elle a besoin d’un but, d’un projet, d’un défi. Alors, elle s’en fixe un. Un vrai : Devenir joueuse professionnelle de jeux vidéo.

Pendant son arrêt, elle se consacre corps et âme à un seul objectif : remporter les World Series of Warzone. Rien que ça ! Une des compétitions les plus difficiles du monde du gaming. 150 joueurs, les meilleurs de la planète, s’affrontent pour un prix d’un million de dollars à se partager entre coéquipiers. Et jusqu’ici, aucune femme n’a jamais remporté ce tournoi.

Mélanie s’y met à fond.

Parfois dix heures par jour, casque sur les oreilles, yeux rivés sur l’écran. Elle progresse à une vitesse folle. Très vite, elle comprend que pour gagner, il lui faudra une vraie équipe. Des joueurs de haut niveau.

Pour se faire repérer par des équipes pros, elle s’inscrit dans des compétitions en solo. Elle enchaîne les performances et ça ne tarde pas : En peu de temps une équipe la contacte et lui demande de les rejoindre pour remplacer un joueur parti plus tôt.

Son ascension est fulgurante.

Après sa grossesse, Mélanie revient plus forte que jamais. Son temps partiel lui laisse suffisamment de temps pour continuer la compétition et elle décroche enfin le poste qui la faisait tant rêver : Cheffe d’équipe. Même si cette fois, ce n’est plus pour diriger des convoyeurs de fonds, mais pour mener ses coéquipiers vers la victoire dans les plus grands tournois d’e-sport.

Dans ce monde ultra-compétitif et résolument masculin, elle s’impose. Son talent, sa rigueur, son mental d’acier la propulsent au rang de championne redoutée, et respectée.

Tout s’enchaîne. En quelques années à peine, elle et son équipe remportent le prestigieux tournoi des World Series of Warzone. C’est la consécration. Mélanie devient la première femme au monde à remporter un tournoi majeur dans l’univers du jeu vidéo.

Radio. Télé. Presse. Réseaux. Tout le monde se l’arrache.

Dans chaque interview, elle raconte son parcours. Elle ne cache rien : les humiliations, le plafond de verre, l’injustice. Elle devient un symbole planétaire de la lutte contre les discriminations sexistes et sexuelles. Son histoire fait le tour du monde.

Son succès est tel, que son employeur est acculé par une vague médiatique internationale. Des journalistes du monde entier demandent des comptes. La direction ploie sous la pression : Mélanie finit par être promue, indemnisée, avec en prime des excuses de son chef, devant les caméras du monde entier.

Mélanie inspire le monde.

On l’invite partout pour y faire des discours inspirants pour des millions de femmes à travers le monde. Conférences, remises de prix, plateaux télé, grands événements internationaux. Mélanie est devenue une icône, une référence, une voix.

Et c’est toujours avec la même émotion dans la voix, la même force dans le regard, qu’elle conclut chacun de ses discours par :

Mesdames, mesdemoiselles, osez rêver ! Brisez les plafonds de verre, montez jusqu’au sommet, et faites rayonner les femmes à travers le monde !

À VOUS DE JOUER !

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Le petit sondage

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